samedi 26 juillet 2025

Where Do I Begin… - Part.4

“La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent.” Albert Camus

Si j’avais été moins sentimental, la communauté gay aurait sans doute été prête à m’accueillir en son sein généreux. Mais entre chaque rupture, j’éprouvais tant de mal à me resituer que je m’enfermais pendant de longs mois (parfois des années) dans des relations pourtant définitivement achevées ; comme si rester au fond du trou tenait lieu de fidélité. Il y a eu quelques rares éclats de grâce, ceux où j’ai tout donné pour finalement découvrir que, dans ces histoires sentimentales bricolées à la va-vite, il y en a toujours un qui aime plus que l’autre. Alors, la relation s’essouffle, on commence à se mentir un peu (ou beaucoup), et par s’éloigner sans toujours comprendre pourquoi (ou comprendre trop bien). Et puis, il y a eu les aventures, celles dont je suis le moins fier,  où, sans doute par dépit, j’ai fait payer à d’autres, qui n’avaient rien demandé, des séparations auxquelles ils étaient parfaitement étrangers. Seulement, déjà sans doute un peu usé, j’étais à court de tendresse et rempli d’amertume. J’ai fini par guérir, oui ; mais avec, en guise de cicatrice, un désenchantement élégant et une fatigue chronique de mes propres attentes démesurées dont je suis le seul responsable. Tous mes désirs n’avaient pas vocation à être réalisés. Et un jour, comme ça, en slip sur mon canapé devant Netflix, je me surprends à penser que l’amour « véritable » n’est peut-être qu’un doux mensonge, inventé pour donner un peu de poésie au vide ou pour rendre la solitude moins brutale. 


Cette prise de conscience, loin d’être pathétique, a été une vraie délivrance. Je n’ai jamais été adepte des sites ou applications de rencontre : ces supermarchés de la solitude où l’on finit souvent par se masturber dans le cul d’un inconnu juste pour évacuer sa frustration et pour oublier deux heures qu’on est seul et qu’on s’emmerde : “nope sir, it’s not my cup of tea”. Non, désormais, je vois plus clairement l’arnaque de mes idéalisations et j’ai cessé d’espérer l’amour comme on attend un bateau dans un aéroport. Le Karma a visiblement un goût prononcé pour le suspense car je réalise aujourd’hui, peut-être un peu tard, que toutes mes histoires ont suivi le même schéma : je m’accrochais à un détail qui me plaisait chez l’autre, pour ensuite remplir les vides avec ce que j’avais envie de croire ou pire, j’inventais de toutes pièces ce que j’évitais soigneusement de voir. 

On ne va pas se mentir : un peu pistanthrophobe sur les bords, je me suis façonné une vie à la marge, à bonne distance des autres. Avec le temps, j’ai apprivoisé le silence, le vide fertile, les contours flous de ce que je suis devenu. Il subsiste en moi cette teinte de cynisme propre à ma nature profonde,  ou peut-être est-ce simplement un réalisme aigu, que d’autres prennent à tort pour du pessimisme. Sous cette carapace rocailleuse, pourtant, il y a de la lumière, des couleurs, du relief, du mouvement. Une vie intérieure intense, tissée de nuances, d’élans, de silences habités. J’ai trouvé une forme de paix tranquille, un doux lâcher-prise, quelque chose qui ressemble à ce mot japonais si plein de sens : Nankurunaisa. Aujourd’hui, je marche sans me presser, le cœur un peu plus léger, les racines un peu plus profondes. C’est juste un peu plus de moi, juste assez désaligné du monde pour que ça me ressemble vraiment. Le chemin m’a changé. Doucement. Et c’est là que je me tiens : un peu en bordure, un peu ailleurs, mais profondément à ma place. Ce n’est pas une fin. Juste un point d’équilibre. Une respiration. Peut-être même un début...


[+]La p’tite musique qui va bien avec… ⏯️ Shirley Bassey - “Where Do I Begin (Away Team Mix)”

mercredi 23 juillet 2025

Au bout de mes pompes

Méandre de Queuille
juillet 2025
 

samedi 19 juillet 2025

Where Do I Begin… - Part.3

“Le couple c’est ne faire qu’un. Oui mais lequel ?” - Oscar Wilde

Dans les années 90, une certaine anxiété collective entourait la sexualité, comme si le désir s’accompagnait inévitablement d’un danger ; de quoi freiner les ardeurs, même si, en ce qui me concerne, je ne ressentais pas une urgence particulière à franchir ce cap. À l’époque, quand les smartphones et Internet n'étaient encore qu’une idée embryonnaire dans les couilles neuronales de ses inventeurs, il y avait ces numéros surtaxés planqués en fin de journaux gratuits des petites annonces. À chaque fois que je lisais “gay”, noir sur blanc, c’était comme si le mot lui-même levait un sourcil dans ma direction pour éveiller en moi une curiosité obsédante, une pulsion impossible à nier. J’y voyais un accès discret à une sexualité que je n’avais pas encore pu vivre, une brèche hors du cadre imposé. Ces lignes, ancêtres des applis de baise actuelles, avaient tout pour devenir addictives si seulement le prix à la minute n’avait pas été aussi violent que le manque qu’elles laissaient derrière.

Néanmoins, mes deux tentatives ont été avant tout de belles rencontres. La première m’a offert ma première fellation, troublante d’intensité, brutale de sincérité, jusqu’à me faire frôler la perte de conscience. La seconde m’a initié aux plaisirs charnels masculins, sans jamais bousculer quoi que ce soit, dans un total respect et le silence brûlant propre aux premières fois. Le monde s’effaçait, mon corps se lâchait enfin. 

Deux personnes d’une rare sensibilité et délicatesse, presque irréelles ; un contraste saisissant avec ce que sont devenues les rencontres au fil du temps. Je sentais bien qu’ils espéraient peut-être davantage. J’étais très jeune, alors pour moi, tout cela n’était encore qu’une exploration sentimentale à la frontière floue entre l’attachement et le hasard. Cela ressemblait toujours de loin, mais jamais de près, au conte de fée que je m’étais imaginé autour de la rencontre du prince charmant. Ai-je eu tort ? Je me cherchais sans vraiment me compromettre là où, peut-être, autre chose aurait pu naître de ces instants vibrants dérobés à la nuit.


(À suivre…)


[+]La p’tite musique qui va bien avec… ⏯️ Leon Bridges - “That’s What I Love”

[+]Gai Pied Hebdo (du n°45 au 541) - Mémoires Des Sexualités


lundi 14 juillet 2025

Bonne fête nationale

LE JEU DU COQ

Ne regardez pas ce coq 

PERDU !!!

samedi 12 juillet 2025

Where Do I Begin… - Part.2

"La vie ne se comprend que par un retour en arrière, mais elle ne se vit qu’en avant." - Søren Kierkegaard

À chaque arrêt, au volant du bus qui m’emmenait au lycée, son regard troublant dans le rétroviseur tombait inévitablement sur moi. Je le soutenais avec une excitation que je peinais à dissimuler jusqu’à ce qu’il reprenne la route. Me souvenir de ces instants suffit encore à faire naître un début d’érection, comme si mon corps n’avait jamais tout à fait oublié. J’étais encore mineur, je crois. Et pourtant, si un jour il avait dit oui (même à demi-mot, même dans un geste) je n’aurais pas dit non… sans hésiter. Pas pour transgresser, ni pour prouver quoi que ce soit. Juste parce qu’à cet âge-là, le désir ne demande pas la permission. Il s’impose, confus, maladroit, parfois sans réponse. Seulement, ado, je confondais souvent ce que je ressentais avec ce que je croyais possible… Une confusion qui a laissé des traces dans ma vie d’adulte. D’autres souvenirs de ce genre jalonnent ma jeunesse, mais aucun n’a laissé une empreinte aussi forte que celle-là.


Sous les toits, dans l’intimité de ma chambre, je jubjotais sur ces expériences, entièrement baigné dans l’exaltation sensorielle qui m’envahissait à l’époque. Entre une scolarité studieuse, lectures exigeantes, des allers-retours entre Jazz élitiste, Soul sensuelle et Pop du moment, sorties avec un cercle d’amis limité mais choisi et un onanisme assidu, mon adolescence, à défaut d’être aventureuse, est plutôt sage et paisible. Autrefois (alors qu’aujourd’hui tout est à portée de clic), quelles que soient nos attirances, nous allions puiser dans la culture et notre quotidien de quoi nourrir nos fantasmes et, je me souviens avoir été fasciné par certaines personnes définies volontiers comme excentriques ou artistes qui s’affranchissaient des conventions. Ensuite...  l’imagination faisait le reste. 

Intérieurement, j’écrivais mon propre scénario romantique : j’allais rencontrer mon âme “frère",  et bien sûr, nous nous reconnaîtrions au premier regard. “Le bon”, “pour la vie”… Comme si la vie se donnait la peine de faire ce genre de cadeaux. “L’homme de ma vie” ? Peut-être pas de toute une vie, mais au moins d’une partie. Ces rêveries irréalistes se sont révélées plus pernicieuses qu’il n’y paraît : elles m’ont enfermé dans la quête du Graal, celle de la relation unique, parfaite ; une quête devenue même, probablement,  plus importante que la personne elle-même, et qui, à force, a fini par ressembler à une geôle.



Je prends très tôt mon envol, je travaille à l’étranger et je fais mes études supérieures à Lyon. Cette nouvelle indépendance et totale liberté va offrir à ma curiosité l’espace pour s’épanouir, et peu à peu, se glisser vers mes premières expériences sexuelles. Et, c’est ainsi que se rompt assez rapidement et définitivement mon poste officieux de semeur de paillettes dans l’univers enchanté de Disney.


(À suivre…)


[+]La p’tite musique qui va bien avec… ⏯️ Sade - “No Ordinary Love”

[+]Madonna - Blond Ambition Tour Remastered 1990 Nice, France

[+]Strike A Pose 2016 (Ils sont toujours aussi beaux)  


mercredi 9 juillet 2025

Tu lis trop de livres


"Mes mains, tout à fait inconsciemment, commencèrent un geste qu’on ne leur avait jamais enseigné. Je sentis un je ne sais quoi secret et radieux bondir rapidement à l’attaque, venu d’au-dedans de moi. Soudain la chose jaillit, apportant un enivrement aveuglant. (…) Ce fut ma première éjaculation. Ce fut aussi le début, maladroit et nullement prémédité, de mes "mauvaises habitudes."

Un souvenir des 12 ans de Yukio Mishima dans “Confessions d'un masque” (1949)

[+]Crédit Image David Gilson

[+]La p’tite musique qui va bien avec… ⏯️ Massive Attack & Madonna - “I Want You”


samedi 5 juillet 2025

Where Do I Begin… - Part.1

"Notre erreur est de confondre l’amour avec la possession, de prendre son intensité pour l’éternité." - Alain de Botton 

Il m’est difficile d’aborder le sujet sans laisser transparaître une certaine amertume. Mes illusions sentimentales et moi, nous nous sommes mariés bien trop jeunes, ce qui m’a laissé au final beaucoup de temps pour les déceptions. La déception de ne pas avoir été ce que l’autre attendait de moi et inversement bien entendu. C’est, en somme, l’histoire de ma vie amoureuse. Et, pour être honnête, sans doute aussi la principale raison de son échec. À ce stade de ma vie, j’ai arrêté de chercher l’amour et… il me le rend bien, il faut bien l’avouer. Alors, oui, je ne cours plus après, néanmoins une part en moi, c’est vrai, l’espère toujours un peu. Le temps passant inexorablement, il prendra peut-être la forme de deux solitudes qui marchent côte à côte ; pas plus, pas moins, franchement, ça me suffirait. 


C’est-à-dire qu’à 5 / 6 ans, une main me tripotant le zizi et l’autre avec un doigt dans le cul, j’aimais déjà ça alors, j’étais bien conscient que ma vie sentimentale n’allait pas vraiment entrer dans la norme. Si je sais que beaucoup ont souffert de leur homosexualité, mon orientation sexuelle m’a interrogé mais jamais dérangé. C’est une part de moi, sur laquelle je ne peux rien comme avoir les yeux marrons, être causasien ou aimer les brocolis alors, à quoi bon lutter contre ? Je n’en ai jamais ressenti ni fierté ni honte. Je ne l’ai ni mise en avant, ni cachée. C’est peut-être ce détachement qui m’a éloigné du militantisme actif. Avec le temps, j’ai peu à peu cessé d’éprouver des remords à ce sujet. J’ai compris qu’à force de militer pour toutes les causes, la société en est venu progressivement à ne plus en tolérer aucune. Pour finalement aboutir à notre époque qui idolâtre la diversité à condition qu’elle pense comme elle. C’est simultanément une course vers un prétendu progrès, devenu en somme, un concours de vertus bien habillées et une vertigineuse régression.



Est-ce un trait inné ou l’héritage de mon éducation ? Je l’ignore. Qu’importe, j'ai toujours pensé, de manière très existentialiste ; celle qui considère que chaque individu demeure seul arbitre de sa vie, de ses choix et libre de définir ses propres valeurs morales, indépendamment de l’opinion des autres ou des jugements extérieurs. Pour ma part, c’est, je le concède honteusement, un peu par indifférence, mais davantage par respect que je me gardais bien de m’immiscer dans ce qui se passait derrière la porte des autres. J’y ai été peu confronté moi-même mais, les casseurs de pédés ou les homos planqués qui cognent pour se prouver qu’ils ne le sont pas, les petits comptables de la morale et autres douaniers du divin seraient, d’ailleurs, bien avisés de s’en inspirer. Avec le recul, je réalise que malgré des principes tenus au cordeau, “s’assumer”, aussi essentiel que ce soit, ne suffit pas à aimer ni… à être aimé.


(À suivre…)


[+]La p’tite musique qui va bien avec… ⏯️ Ady Suleiman - “Need Somebody To Love”

[+]"Our mistake is to confuse love with possession, to mistake its intensity for eternity." - Alain de Botton - Essays in Love (De l'amour, 1993)