“La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent.” Albert Camus
Si j’avais été moins sentimental, la communauté gay aurait sans doute été prête à m’accueillir en son sein généreux. Mais entre chaque rupture, j’éprouvais tant de mal à me resituer que je m’enfermais pendant de longs mois (parfois des années) dans des relations pourtant définitivement achevées ; comme si rester au fond du trou tenait lieu de fidélité. Il y a eu quelques rares éclats de grâce, ceux où j’ai tout donné pour finalement découvrir que, dans ces histoires sentimentales bricolées à la va-vite, il y en a toujours un qui aime plus que l’autre. Alors, la relation s’essouffle, on commence à se mentir un peu (ou beaucoup), et par s’éloigner sans toujours comprendre pourquoi (ou comprendre trop bien). Et puis, il y a eu les aventures, celles dont je suis le moins fier, où, sans doute par dépit, j’ai fait payer à d’autres, qui n’avaient rien demandé, des séparations auxquelles ils étaient parfaitement étrangers. Seulement, déjà sans doute un peu usé, j’étais à court de tendresse et rempli d’amertume. J’ai fini par guérir, oui ; mais avec, en guise de cicatrice, un désenchantement élégant et une fatigue chronique de mes propres attentes démesurées dont je suis le seul responsable. Tous mes désirs n’avaient pas vocation à être réalisés. Et un jour, comme ça, en slip sur mon canapé devant Netflix, je me surprends à penser que l’amour « véritable » n’est peut-être qu’un doux mensonge, inventé pour donner un peu de poésie au vide ou pour rendre la solitude moins brutale.
Cette prise de conscience, loin d’être pathétique, a été une vraie délivrance. Je n’ai jamais été adepte des sites ou applications de rencontre : ces supermarchés de la solitude où l’on finit souvent par se masturber dans le cul d’un inconnu juste pour évacuer sa frustration et pour oublier deux heures qu’on est seul et qu’on s’emmerde : “nope sir, it’s not my cup of tea”. Non, désormais, je vois plus clairement l’arnaque de mes idéalisations et j’ai cessé d’espérer l’amour comme on attend un bateau dans un aéroport. Le Karma a visiblement un goût prononcé pour le suspense car je réalise aujourd’hui, peut-être un peu tard, que toutes mes histoires ont suivi le même schéma : je m’accrochais à un détail qui me plaisait chez l’autre, pour ensuite remplir les vides avec ce que j’avais envie de croire ou pire, j’inventais de toutes pièces ce que j’évitais soigneusement de voir.
On ne va pas se mentir : un peu pistanthrophobe sur les bords, je me suis façonné une vie à la marge, à bonne distance des autres. Avec le temps, j’ai apprivoisé le silence, le vide fertile, les contours flous de ce que je suis devenu. Il subsiste en moi cette teinte de cynisme propre à ma nature profonde, ou peut-être est-ce simplement un réalisme aigu, que d’autres prennent à tort pour du pessimisme. Sous cette carapace rocailleuse, pourtant, il y a de la lumière, des couleurs, du relief, du mouvement. Une vie intérieure intense, tissée de nuances, d’élans, de silences habités. J’ai trouvé une forme de paix tranquille, un doux lâcher-prise, quelque chose qui ressemble à ce mot japonais si plein de sens : Nankurunaisa. Aujourd’hui, je marche sans me presser, le cœur un peu plus léger, les racines un peu plus profondes. C’est juste un peu plus de moi, juste assez désaligné du monde pour que ça me ressemble vraiment. Le chemin m’a changé. Doucement. Et c’est là que je me tiens : un peu en bordure, un peu ailleurs, mais profondément à ma place. Ce n’est pas une fin. Juste un point d’équilibre. Une respiration. Peut-être même un début...
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3 commentaires:
Pistanthrope ?
@Calyste: effectivement, le terme correct serait plutôt pistanthrophobe, ce qui est encore un néologisme car l'on parle généralement de pistanthrophobie... je vais corriger, par acquis de conscience.
Je ne suis pas certain qu’on puisse décrire le couple et l’amour d’une seule façon. Chacun sa définition et sa vision de la chose, et il n’y en a pas une qui soit meilleure qu’une autre. J’essaye de voir le couple comme la rencontre de deux individus avec des visions compatibles de la chose. Et sachant qu’avec le temps, chacun évolue, maintenir le cap n’est pas toujours aisé…
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