samedi 12 février 2011

Les chouquettes

« L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour ça que le présent nous échappe. »

Combien d’années nous séparent ? Six, huit, dix ? Quand on a pris pour acquis qu’on peut prendre soins d’un désir sans attendre sa réalisation à tout prix, les relations humaines gagnent en intensité, les émotions en puissances et la frustration laisse place à des fantasmes d’un érotisme torride que la réalité peut anéantir en une fraction de seconde. Son charme, ce regard ténébreux, son sourire ont mis du temps à m’atteindre car parfois mon attention quitte l’ici et maintenant pour conquérir trop précipitamment un futur incertain alors, que dans le moment présent je pourrais goûter à ces petits instants de séduction dont je raffole. C’est un matin, que j’ai réalisé, en entrant dans cette petite boulangerie, que ses yeux cherchaient les miens et quand il les trouva enfin, je compris. Quelques secondes de silence entre nous et ma gêne de voir l’éclat de son regard se poser sur moi ont suffit à faire naître ce désir, à comprendre, à le voir vraiment. Chaque jour ou presque maintenant, nos gestes tendres et nos attentions pudiques révèlent un peu plus l’attirance que nous avons l’un pour l’autre. Quand sa main dépose la monnaie dans la mienne, quand il me suit du regard changé de trottoir ou quand son attention s’attarde sur moi quand je pénètre dans la boulangerie, je sais qu’un jour sa peau halée se mêlera à la mienne, qu’il m’enlacera avec force pour réchauffer mon corps engourdi par un hiver trop long en laissant son odeur ambrée originelle sur ma peau et le goût de ses baisers sur mes lèvres. Que restera-t-il alors de ce formidable désir ? Que deviendra cette passion sans cesse renouvelée exempte de toute déception car inassouvie quand, impatiemment nous attendions de nous voir quelques minuscules minutes par jour ? Qu’adviendra-t-il de ces petits sacs de chouquettes qu’il me filait en douce? Alors que ce matin le petit jour se lève, voilà que j’anticipe encore, que j’oublie déjà d’apprécier que pour la première fois il vient de se réveiller à mes côtés.

[+] La petite musique qui va bien The Radio Dept. "I wanted you to feel the same"