Tu sais ce que je pense ? La plupart des gens, à quelques exceptions
près, traversent la vie persuadés que l’existence et le monde sont ou doivent
être fondamentalement logiques et consistants. C’est l’impression que j’ai
quand j’entends parler les gens qui m’entourent. Dès qu’il arrive quelque
chose, dans la société ou sur un plan individuel, il y a toujours quelqu’un
pour dire : « il s’est passé ceci, et par conséquent, il en a découlé cela »,
et les autres acquiescent en disant : « Oui, bien sûr, c’est logique. » Mais
moi, je trouve que ça n’explique rien. C’est comme de mettre un mélange
instantané pour flan dans un ramequin à couvercle et de le passer au
micro-onde. Quand la sonnerie retentit, on soulève le couvercle et on est sûr
de trouver un flan dessous. Mais qui sait ce qui s’est passé entre-temps sous
le couvercle ? Si ça se trouve, le flan s’est métamorphosé en macaronis au
gratin avant de redevenir un flan au moment où retentit la sonnerie. Moi, je me
sentirais plutôt soulagée si, au moins une fois, je découvrais des macaronis au
gratin à la place du flan. Evidemment, je serais sans doute un peu surprise
mais pas tellement déconcertée, je crois. En un sens, ça me paraîtrait beaucoup
plus réel. Expliquer par un raisonnement logique en quoi ça serait plus réel me
paraît extrêmement difficile mais si tu prends comme exemple le chemin qu’a
suivi ma vie jusqu’à présent, et que tu réfléchis bien, tu comprendras
facilement ce que je veux dire : il n’y a pas le moindre brin de logique
là-dedans. […] Peut-être qu’il existe deux sortes de gens, et que pour les uns
le monde est logique façon flan, et pour les autres, imprévisible façon gratin
de macaronis.
Haruki Murakami « Chroniques de
l’oiseau à ressort », Chapitre 19 – La fille des crapauds sans cervelle (le
point de vue de May Kasahara, V)