“le Temps ne respecte pas ce qui se fait sans lui.” - Paul Morand
Ce n’est pas évident pour moi d’assumer d’être un pur produit des années 70, l’ère de l’exubérance consumériste, de l’âge d’or du plastique triomphant, des objets à usage unique et du tout jetable. Si l’on ajoute à cela que je m’inscris dans la typique progéniture du baby-boomer qui projette sur son gosse l'illusion d'un avenir radieux que lui, par manque de moyen ou d’opportunité, n'a pas eu l’occasion de réaliser, j’entre, a priori, dans un canevas parfaitement tracé autour duquel j’ai dû jouer à la marelle tant, ce que je pense être devenu, est en complet décalage avec l’évolution qu’a connu la société. Je l’assume, à 6 ans, j’étais déjà vieux : la préhistoire incarnée. Dans les années 1970/80, je suis moins épaté par les évolutions technologiques naissantes que par mes Grands-Parents. Tout en buvant mon cacolac, je revois mon Grand-Père paternel (que j’ai connu son existence entière en bleu de travail), démonter, nettoyer et remonter des centaines de minuscules engrenages qui se ressemblaient tous pour reconstituer sa montre ; faire apparaître un panier avec des écorces d’arbre ; aiguiser une longue faux avec “un drôle de cailloux” ; lire son journal avec une petite loupe triptyque pliante. J’entends encore avec une parfaite acuité le bruit caractéristique de son rasoir coupe-chou sur la barbe du voisin et je sens encore les essences intenses de l’eau de cologne “Tabac” sur cette peau rasée sans la moindre égratignure.
C’était également cette indulgence naturelle de cet homme, rouge à en rendre jaloux Staline, vivre heureux avec ma Grand-Mère qui me serrait contre sa chaude et opulente poitrine au service religieux du jeudi soir dans une église décidément aussi vide que glaciale ; elle m’apprenait les délicates prières à Sainte Rita, patronne des causes perdues (sic et re-sic). Tout ça, dans une langueur feutrée puisque les sentiments se suffisaient à eux-mêmes. Et ainsi s'égrènaient les vacances d’été chez mes Grand-Parents, dans un silence si paisible et profond que l’idée même du langage semblait ne jamais avoir existé. L’économie des mots, l’intensité des émotions dans un milieu où l’on était riche de rien et heureux avec peu. Cette simplicité, non seulement m'inspire encore et continue de me construire.
A contrario, mon éducation, l’école, mon entourage, mon petit milieu social de l’époque déployaient toute leur énergie pour me faire entrer, à grand renfort de chausse-pied, dans ce qu’était pour eux la conception de “la normalité heureuse”. Cela devait nécessairement résider dans le conformisme et la connexion aux autres afin d'asseoir, j’imagine, un sentiment d’appartenance. Ce n’est pas un reproche, bien entendu, tout était pétri de bonnes intentions éducatives. Néanmoins, cela a contribué à renforcer un mal être précoce déjà bien installé. J’étais, à l'époque, incapable de l’analyser. Très jeune déjà, je me suis senti à part ; ô certainement ni plus ni moins que d’autres, seulement cela a subsisté jusqu’à aujourd’hui. Non que je me sente différent ou que j’éprouve une quelconque supériorité, bien au contraire, je me sens le plus souvent perdu, comme inadapté à la société. C’est d’ailleurs probablement la raison d’une certaine instabilité et d’un manque de confiance en moi. Même gamin, j’ai toujours eu un regard méfiant sur le monde qui m’entourait et, plus j'appréhendais le décalage entre ce que j’en percevais et ce que l’on attendait de moi, moins j’avais envie d’y appartenir.
(À suivre…)
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